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SFV 552 de 1957 Le dernier colosse de Vierzon

Produit à 81 unités, le SFV 552 représente aujourd'hui une pièce rare et convoitée. Dérivant du 551, ce modèle marque aussi la fin d'un règne. Nous avons eu la chance de prendre en mains un exemplaire entièrement restauré.  Rencontre avec une force de la nature.... Texte : Guillaume Waegemacker - Photos : Christian Bedeï

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Avant d'aborder l'histoire du SFV 552, il convient de revenir sur celle de son prédécesseur, le SFV 551. Destiné à entraîner les ensembles de battage les plus conséquents et les moissonneuses batteuses traînées, le 551 apparaît sur l'échiquier agricole au cours du dernier trimestre 1951. Ce tracteur est également tout à son aise au niveau des travaux lourds et des grandes cultures. Reprenant le dispositif du monocylindre semi-diesel, il représente le plus puissant des tracteurs de la gamme. D'une cylindrée de 12 760 cm3, il atteste d'une puissance de 55 ch à la barre et de 60 ch à la poulie. Dotée d'un blocage de différentiel, la boîte de vitesses dispose de cinq rapports avant, auxquels s'ajoute bien entendu une marche arrière. Dans un premier temps (années 1952 et 1953), la production de ce modèle est localisée à Vierzon. Par la suite, la ligne de production du 551 sera basée à Lunéville, en Meurthe-et-Moselle. Produit jusqu'en 1957, il est fabriqué à un peu moins de mille exemplaires. La relève du 551 est assurée par le 552 en milieu d'année 1957. Un nouveau tracteur ce 552 ? En fait pas vraiment, il s'agit plutôt d'une remise au goût du jour du 551.

Vu de face, un 552 reste très impressionnant. Destinés aux grandes cultures et aux battages, les 551 et 552 sont synonymes d’endurance et de robustesse. Les collectionneurs qui les possèdent aujourd’hui ne manquent jamais de les faire travailler.

Aussi, la puissance du tracteur est-elle légèrement plus élevée (3 chevaux seulement) de par l'augmentation du régime moteur, qui passe à 750 tr/min (contre 650 tr/min pour le 551).  La puissance à la barre du 552 est de l'ordre 57 ch et la puissance à la poulie de 65 ch. Tout comme les tous derniers 551, le 552 est doté d'une réduction finale avec engrenages à chevrons. La morphologie du tracteur et ses lignes générales demeurent quasi inchangées, exception faite de la face avant. Faute d’innovation technologique majeure, la SFV a en effet tenté d'offrir au 552 un look dans le vent avec l'adoption d'une face avant novatrice en matériau composite. Plutôt réussie pour les uns, empâtée pour les autres, elle ne laisse personne indifférent. Pivotante, cette calandre s'articule vers la droite. Le logo émaillé tricolore en laiton aux couleurs de la SFV prend place sur la partie supérieure de cet élément. Les agriculteurs et les entrepreneurs reprochaient d'ailleurs à cette face avant de carrosserie en matériau composite d'être extrêmement fragile.

En matériau composite, la face avant du tracteur étonne toujours par son design. Cette dernière intègre une grille verticale à motifs croisés.

En option, l'acquéreur d'un 552 pouvait disposer de pneumatiques arrière de dimensions 18 x 26, le montage de série étant 14 x 34. Cette monte de pneumatiques optionnelle a pour conséquence un léger élargissement de la voie arrière qui gagne 16 centimètres. Si le 552 a hérité de la fiabilité de ses aînés, il souffre aussi d'une conception archaïque.

Le 552 adopte des pneumatiques de dimensions 6.50 x 20 à l’avant et 14 x 34 à l’arrière. Le tracteur présenté ici est chaussé en 16.9 x 34 à l'arrière. En option, il était possible d’obtenir des pneumatiques de dimensions 18 x 26 à l'arrière.

Cet archaïsme est déjà même antérieur à la présentation de ce tracteur construit pour durer. Si le 551 a été produit à près d'un millier d'exemplaires, le 552 ne rencontrera qu'un très faible succès avec une production globale de 81 exemplaires. Ce succès mitigé s'explique de différentes manières. En premier lieu, moissons et battages s’effectuent désormais à l’aide de nouvelles machines ultra performantes. L'ère des moissonneuses-batteuses tractées et surtout automotrices est en marche ! Les 551 et 552, qui représentaient à l'époque de véritables bêtes de somme en la matière, tant dans la traction de moissonneuses-batteuses qu'au niveau de leur utilisation en poste fixe avec les ensembles de battage les plus conséquents, ont de moins en moins leur raison d'être. Les machines traînées pouvaient certes être emmenées par des SFV de l’envergure des 551 et 552, mais aussi et surtout par des tracteurs de conception nettement plus moderne alliant performances, ergonomie et confort d'utilisation. 

Le volant d'inertie est disposé sur le côté droit. Cet élément est ici coiffé de son couvercle de protection. A noter que le sens de rotation est rappelé sur le carénage constituant le pourtour de cet élément vital.   

Bien qu'ayant déjà fait leurs preuves en matière d’économie, d’endurance et de fiabilité, les SFV à moteur monocylindre semi-diesel étaient particulièrement éprouvants à mener. Le fait que le gouvernement français ait ouvert la porte à la détaxation du carburant lourd en 1956 a changé très nettement le contexte. Ainsi arrive sur cette même année 1956 le FOD : fuel oil domestique (en clair le gasoil agricole de couleur rose). Ce changement se traduira par une arrivée en masse sur le marché de tracteurs Diesel. Par conséquent, l'utilisation des tracteurs semi-diesels produits par la Société Française de Vierzon perd de son intérêt d'un point de vue purement économique. Même s’ils représentaient un modèle d'endurance et de robustesse, les 551 et 552 étaient de surcroît proposés à un tarif particulièrement élevé.

 

Le robinet de carburant dispose de trois positions : orienté vers la gauche, il permet de démarrer au FOD (le gasoil agricole), au centre il se trouve en position neutre et orienté vers la droite, il permet de démarrer à l'essence.

Il ne faut pas oublier non plus qu'à cette époque les désaccords étaient nombreux au sein même du bureau d'études. S'affrontaient en effet les idées de l'équipe qui avait connu et développé l’âge d'or du monocylindre semi-diesel et les perspectives d'avenir des plus jeunes membres du groupe. Ces derniers ne percevaient aucun avenir dans le dispositif du monocylindre semi-diesel et étaient nettement plus favorables à l'utilisation de moteurs Diesel, quitte à se les procurer chez un intervenant extérieur. L'entêtement des plus anciens conduira au résultat que nous connaissons, la production du 552 ne dépassant pas les 81 exemplaires.

La collection de Jean-François Briand est composée majoritairement de SFV. Son grand-père s’est installé entrepreneur de battages en 1922. Le père de Jean-François, qui a ensuite repris l’entreprise, a travaillé avec plusieurs modèles de la marque.

C'est dans les Côtes d'Armor que nous avons découvert cet exemplaire entièrement restauré. Il est la propriété d'un entrepreneur agricole bien connu des amateurs de Société Française : Jean-François Briand. Pilier de l'Amicale Société Française,  Jean-François a d'ailleurs orchestré l'assemblée générale 2015 de l'association. « J'ai fait l’acquisition de ce 552 en 2014 auprès d'André Bihan, un collectionneur basé à Glomel, dans les Côtes d'Armor, explique-t-il. Ce dernier l'avait remis en état en le configurant en 551 dans la mesure où le museau spécifique au 552 était quasiment détruit. Tournant, le tracteur n'a pas posé de souci mécanique particulier. Boîte de vitesses et pont étaient en parfait état. L'ensemble des éléments de carrosserie a été démonté, poncé et plané. Je me suis procuré un museau avant par l'intermédiaire de mon ami Guy Rivière. En effet, un ami de Guy disposait d'un moule permettant de refabriquer cet élément phare. Une seconde pièce a été tirée par la même occasion afin de pouvoir dépanner un collectionneur du sud-ouest restaurant lui aussi un 552. Les pneumatiques ont été changés. Dès le travail de préparation terminé, le tracteur a été mis en apprêt puis laqué de ses teintes originelles au terme d’une ultime séance de ponçage. La peinture et les logos adhésifs du tracteur m'ont été fournis par l'Amicale Société Française. La remise en état du tracteur s'est échelonnée sur une période de six mois. »      

 

Les commandes du 552 : doté d'un pommeau de couleur noire, le levier d'enclenchement de la prise de force est disposé à proximité du frein à main. Un peu plus à droite, nous retrouvons le levier de vitesses, la colonne de direction puis les pédales de freins et d'accélérateur.   

Tout comme son aïeul le 551, le SFV 552 en impose par sa prestance. Comme nous l'avons dit précédemment, la conception générale du 552 est en tous points similaire à celle du 551. L'accès au poste de conduite s'opère par l'arrière du tracteur. De couleur noire, le volant de direction est doté de trois branches. Le levier de vitesses est disposé à gauche de la colonne de direction. La grille de vitesses est similaire à celle du 551. Les rapports sont répartis sur trois lignes horizontales superposées. La première est disposée à droite, sur la ligne du milieu. Seconde et troisième se placent sur la ligne supérieure de la grille, la seconde étant disposée à gauche et la troisième à droite. Enfin, la quatrième et la cinquième sont disposées sur la ligne basse. La quatrième est disposée à gauche et la cinquième à droite. La marche arrière se place quant à elle à gauche, à l'opposé de la première.

La planche de bord est d'une grande simplicité. En alliage léger, elle est fixée sur l'aile droite du tracteur. Le boîtier de fusibles de couleur noire est disposé à proximité de l'éclairage de la planche de bord. Dominant sur le cadran de l'ampèremètre, se trouve un petit contacteur (ajouté par Jean-François), destiné au fonctionnement du vibreur.  Aux côtés de l'ampèremètre se situe le témoin lumineux des veilleuses puis le contacteur à clé. La molette de ce contacteur est dévouée à la signalisation.

Voici l'heure du rituel de la mise en marche du tracteur. Jean-François Briand s'est muni de la traditionnelle bouteille de gaz et de la lampe de chauffe. Cette dernière permettra de monter la boule en température. Au terme de cinq minutes de chauffe, il convient d'actionner le robinet de carburant. Ce dernier dispose de trois positions : fioul, neutre et essence. Après avoir augmenté légèrement les gaz en actionnant la commande disposée à proximité de la colonne de direction, Jean François actionne maintenant la pompe d'injection. « Dans le cadre de la mise en marche du tracteur, je m'aide également du vibreur », précise-t-il. S'en suit le traditionnel balancement du volant d'inertie de gauche à droite. Le monocylindre s'éveille sans tarder dans un vacarme rythmé demeurant toujours très impressionnant. Il convient maintenant d'actionner la petite manivelle de la pompe à huile. Voilà qui permet de lubrifier le vilebrequin, cylindre et piston qui sont particulièrement sollicités au démarrage.

Vue de dessus du système de graissage moteur. Les principaux organes de la mécanique sont lubrifiés par l'intermédiaire d'un graisseur mécanique. L'huile sous pression est refoulée directement vers les éléments à lubrifier : le piston et son axe, la tête de bielle, les disques d'étanchéité gauche et droit et enfin la commande de la pompe. 

Les vibrations transmises par le puissant monocylindre semi-diesel sont conséquentes et balancent allègrement le conducteur du tracteur, tout au moins à l'arrêt. En marge des travaux liés au battage et à la moisson, le 552, tout comme le 551 était aussi l'allié des travaux lourds, à l'image des débardages betteraviers ou des chantiers de labours les plus conséquents.  De même, il était l'allié des grandes cultures en plaines.

A l’usage, tant au travail que sur route, le 552 fait preuve de ressources quasi inépuisables. Avec plus de douze litres de cylindrée, il représente - tout comme le 551- un tracteur qui a du coffre ! 

Après avoir déverrouillé le levier de frein à main et basculé celui-ci vers l'avant, j'embraye fermement tout en passant la première. Le tracteur évolue à bon rythme sur le tempo du monocylindre et ses volutes de fumée. Terre des exploits d'Astérix et Obélix, la Bretagne est une région sauvage, où les dénivellations sont monnaie courante. Avec plus de 12 litres de cylindrée, le 552 est un tracteur qui a du coffre et il nous le prouve sans équivoque ! En 3ème et en côte, il dévore le bitume à la vitesse de l'éclair. En comparaison au 551, le 552 témoigne d’une souplesse accrue au niveau de sa mécanique. Le « poum poum » du Vierzon détourne tous les regards et fait pointer toutes les oreilles sur notre passage. Quelques gouttes d'huile brûlante issue du pot d'échappement viennent tapisser ma chemise « façon dalmatien ». Voilà qui va plaire à ma blanchisseuse préférée ! Ces projections s’expliquent par le fait que le tracteur ne brûle pas toute son huile en pareille situation et qu'il dispose d'un graissage à huile perdue de par la conception même de sa mécanique à deux temps. Il faut aussi ajouter le fait que les huiles actuelles sont nettement plus fluides que les huiles monograde qui étaient utilisées à l’époque.

Le 552 tire sa révérence en 1958 après avoir été produit à 81 exemplaires seulement. Il constitue aujourd'hui le rêve de nombreux inconditionnels de l'aventure Société Française.

Tracteur aux muscles d'acier, le 552 représente un modèle extrêmement attachant. Vif et endurant, il marque aussi la fin du règne des tracteurs semi-diesels. Pièce extrêmement rare et convoitée, il représente le Graal de nombreux collectionneurs. Peu d'entre eux survivent aujourd’hui et ceux qui les possèdent y sont généralement très attachés. Un 552 ne se cède pas, il se transmet tel un flambeau, un témoignage d'une époque, un fleuron de l’aventure Société Française de Vierzon…

Mille mercis à Jean-François Briand pour son accueil chaleureux et sa disponibilité dans le cadre de ce reportage. Merci également à Guy Rivière qui connaît les 552 sur le bout des ongles. 

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